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Des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes se profilent en France




En 2018, l'Union européenne a interdit trois insecticides à base de néonicotinoïdes en raison du risque environnemental élevé qu'ils représentent. Aujourd'hui, l'un des pays le plus en avance en matière de législation et de protection des pollinisateurs en Europe risque de faire un énorme pas en arrière en autorisant le retour sur le marché et dans l’environnement de substances actives interdites. Début août, le gouvernement français a annoncé sa volonté d'accorder une dérogation de trois ans à l'interdiction des néonicotinoïdes. L'objectif est de donner des autorisations d'urgence pour l'utilisation de substances à base de néonicotinoïdes en raison des difficultés auxquelles font face les producteurs de betteraves sucrières cette année. Néanmoins, il s'agit d'une proposition troublante qui non seulement rejettent les alternatives existantes, mais empêche aussi de se focaliser sur d’autres alternatives viables ou potentielles; enfin, cela pourrait ouvrir la porte à d’autres demandes de dérogations (par ex. pour le maïs). Si l'UE et ses États membres souhaitent atteindre les objectifs de durabilité tels que présentés dans le “Pacte vert”, ce revers doit être évité.


Le gouvernement français explore actuellement la possibilité risquée de rouvrir les portes aux dérogations pour permettre aux substances interdites de faire leur retour. Depuis quelques années, la France est à l’avant-garde de la protection de l'environnement et de la faune en Europe et a même considérablement amélioré les conditions des abeilles grâce à sa “loi sur la biodiversité” [1], en interdisant la première cinq néonicotinoïdes dès 2018 -  y compris des substances que l'UE n'avait pas encore interdites mais dont le caractère dangereux pour les abeilles avaient été mis en évidence par la recherche scientifique. Cependant, la volonté du gouvernement français d'accorder des dérogations crée de nouveaux défis et un changement significatif dans le discours politique.


Le gouvernement français a présenté sa proposition de loi, modifiant la loi sur la biodiversité, pour permettre des dérogations d’utilisation de pesticides interdits. La nouvelle proposition de loi est discutée aujourd'hui en Conseil des ministres et le parlement français devrait voter en octobre. Apiculteurs, organisations environnementales et citoyens inquiets demandent désormais aux députés français de voter contre ce changement législatif. La Coordination Apicole Européenne - BeeLife est solidaire des apiculteurs et écologistes français et demande également aux parlementaires et législateurs français d’éviter de commettre les erreurs du passé et même du présent dans d'autres pays européens.


Même si le Règlement (CE) 1107/2009 comporte la possibilité de dérogations à l'interdiction des produits phytopharmaceutiques, dans le cas de certains États membres, celles-ci est un outil pour contourner les réglementations de l'UE. Jusqu'en 2017, les experts ont même qualifié la France de «championne des dérogations» [2], considérant son utilisation insistante de l'article 53 du présent règlement concernant les autorisations d'urgence de produits interdits. La situation passée en France révèle que le risque pour le futur est bien réel.


La tentative actuelle de modification de la législation nécessite une vigilance accrue, en veillant à ce que les autorités suivent des procédures et des informations fiables, en particulier celles fournies par ses organes scientifiques. Il est nécessaire de s'assurer du respect du cadre que propose l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour évaluer les alternatives aux néonicotinoïdes (toutes options comprises).


Selon la réglementation de l'UE, les autorisations d'urgence sont délivrées pour les produits interdits uniquement lorsqu'il n'y a pas d'alternatives disponibles qui répondent aux critères d'efficacité, d'opérationnalité, de durabilité et de praticité. Les gouvernements nationaux qui accordent des autorisations doivent soumettre un dossier complet démontrant le manque d'alternatives avec une documentation appropriée. Néanmoins, beaucoup ne respectent pas ce protocole, accordant des autorisations d'urgence sans justification appropriée. Par conséquent, ouvrir la législation nationale aux dérogations comporte un risque d'abus de l'article 53, comme cela a été constaté dans certains autres États membres [3]. Malheureusement, cette situation est un poids de plus sur l'environnement, les abeilles et la biodiversité en général.


La situation en France est problématique. Le risque élevé que représentent les néonicotinoïdes pour les insectes, en particulier les abeilles, a été largement débattu dans la littérature scientifique ces dernières années, menant même à des décisions cruciales telles que l'interdiction de trois substances par l'UE en 2018. Le mois prochain, les députés français auront l'opportunité de sauvegarder les efforts et les progrès réalisés au cours de la dernière décennie. Même au milieu de la crise actuelle, l'avenir de la biodiversité et des écosystèmes sains doit rester une priorité.




[1] Légifrance - Loi n° 2016-1087 pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages: https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=CC1AB9F761A45BE97EE6A0C7D5B37DC1.tpdila17v_2?categorieLien=id&cidTexte=JORFTEXT000033016237


[2] France Info. 2018. Néonicotinoïdes dangereux pour les abeilles : "La France est championne d'Europe de la dérogation pour l'utilisation de produits interdits": 


[3] PAN Europe, BeeLife, ClientEarth, Romapis. 2017. Bee Emergency Call: How some Member States are threatening bees by allowing the use of pesticides and how the Commission does nothing to stop them: https://link.bee-life.eu/bee-emergency-call




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