Les apiculteurs de toute l'Europe sont venus à Bruxelles pour défendre leur profession
Le 23 mai, une conférence sur le secteur apicole appelée “L'apiculture : un secteur agricole menacé”, a été organisée par les députés européens Juozas Olekas (S&D, Lituanie) et Franc Bogovic (PPE, Slovénie) à l'occasion de la Journée mondiale de l'abeille célébrée le 20 mai. Cet événement hybride s'est déroulé au cours d'une semaine politiquement chargée, avec des textes législatifs clés discutés (le règlement sur l'utilisation durable des pesticides) et votés (la loi sur la restauration de la Nature) en Commission. Ces deux textes législatifs sont essentiels pour protéger les abeilles et les pollinisateurs, inverser leur déclin et, par conséquent, assurer la durabilité du secteur apicole et la santé des colonies. Personne ne devrait oublier le secteur apicole car il constitue l'une des bases de nos systèmes alimentaires. Au total, environ 300 participants se sont inscrits à travers toute l'Europe.
Depuis plusieurs années, le secteur de l'apiculture est menacé. Non seulement il subit depuis plus de vingt ans des pertes de colonies insoutenables en raison de menaces environnementales, mais le changement climatique a aussi contribué à une diminution radicale de la production. La société et les consommateurs n'ont pas pris conscience de ces phénomènes pour les produits apicoles, car le miel abordable ou bon marché est resté constamment disponible dans les rayons des supermarchés. Les principaux importateurs du marché européen, l'Ukraine et la Chine, ont constamment répondu à la demande que les apiculteurs européens ne pouvaient pas satisfaire (40 % du marché européen). Les résultats de la dernière action coordonnée de l'UE, “From the hives” (mars 2023) en Europe, a révélé que 46 % de ce miel importé était suspecté de ne pas être du miel.
Il y a cinq ans déjà, le rapport Erdos soulignait cette situation préoccupante et formulait des recommandations, notamment une transparence totale sur l'étiquetage de l'origine des mélanges de miel. Les consommateurs ont le droit de savoir d'où vient leur miel, et la directive actuelle autorise un étiquetage qui autorise de mentionner uniquement “mélange de miels originaires et non originaires de l'UE”, ce qui revient à dire que le miel provient de la Terre. Les apiculteurs européens ne peuvent plus faire face à la concurrence déloyale sur le marché international, qui via la commercialisation de produits douteux tire vers le bas les prix à un niveau irréaliste. Etienne Bruneau, vice-président du groupe de travail “miel” duCopa-Cogeca, a montré le caractère dramatique de la situation des producteurs européens sur le marché international et les raisons qui la sous-tendent (questions sanitaires, dégradation de l'environnement, changement climatique, guerre et questions énergétiques).
Publiée en avril 2023, la proposition de la Commission européenne pour réviser la directive dite “Miel” propose de mettre fin à cette opacité concernant l'origine. Pierre Bascou, directeur général adjoint à la DG AGRI en charge notamment du secteur apicole, a présenté les différents outils de soutien aux apiculteurs et le nouveau texte. Ce dernier est désormais discuté au niveau du Conseil et sera négocié au sein du Parlement.
Ghislain Maréchal de la DG SANTÉ a présenté la méthodologie et les résultats de l’action coordonnée “From the hives”, confirmant que les miels chinois et turcs présentent un niveau élevé de suspicion de fraude. La Commission fournira bientôt plus d’informations sur les importateurs concernés. Lourdes Alvarellos a présenté les avancées du Centre commun de recherche (CCR) dans le développement méthodologique de la détection des adultérations.
Retours d’expérience du terrain
François Peyrac, représentant de Naturalim-FranceMiel, et membre de “Les Compagnons du miel”, la plus grande coopérative apicole de France, a déclaré que la transparence et la traçabilité totale/complète sont possibles pour un conditionneur de miel, de la ruche (c’est-à-dire, de l’apiculteur) au pot sur les étagères des supermarchés.
Ingrid Schmaranzer, de l’association autrichienne des apiculteurs professionnels (ÖEIB) et représentante de l’EPBA (l’association européenne des apiculteurs professionnels), s’est exprimée avec émotion à propos de la situation dramatique et insoutenable dans laquelle se trouvent les apiculteurs. Les apiculteurs engagent désormais des poursuites judiciaires en Autriche, poursuivant les distributeurs pour publicité mensongère et négociant le retrait des linéaires de produits apicoles dont ils ont eux-même démontré la non-conformité. Il est important de souligner que les autorités auraient dû procéder à ces contrôles. Comme l’a déclaré Lasse Hellander, président de BeeLife, “la charge de la preuve ne devrait pas incomber aux apiculteurs”.
Kestutis Garalevicius, un jeune apiculteur lituanien, a exprimé sa frustration et son désespoir face à la situation : “Les jeunes agriculteurs ou apiculteurs ne se lancent pas dans une activité non rentable. Coûts de production élevés, pertes de colonies, production réduite et prix extrêmement bas si nous parvenons à produire. Qui voudrait s’engager pour le futur dans ces conditions ?”
Rune Havgaard Sorenson, de l’association danoise des apiculteurs, a pris la parole depuis le public: “Nous parlons tous de durabilité, mais nous venons d’entendre de notre jeune collègue en Lituanie que la concurrence déloyale étouffe les apiculteurs. Moins d’apiculteurs signifie également moins de pollinisation, ce qui pourrait se traduire par une production moindre à l’hectare pour les agriculteurs. Je dis simplement cela parce que cette question concerne également la durabilité en agriculture”. Il a raison, et lorsque les consommateurs achètent du miel en provenance d’Europe, ils achètent bien plus que du miel. Le secteur apicole européen soutient la biodiversité de l’Europe et la sécurité alimentaire à long terme grâce à la pollinisation des cultures par les abeilles; et les apiculteurs sont des gardiens essentiels de l’environnement.
Les solutions
Tout au long de l’événement, il a été demandé à la Commission européenne, à l’administration et aux eurodéputés présents un fort soutien aux apiculteurs, et ce, dès maintenant et pour les générations futures.
Les apiculteurs européens, représentés par Copa-Cogeca, appellent à renforcer les contrôles et les ressources humaines et financières allouées à la lutte contre la fraude en Europe, ainsi qu’au respect de leur travail par une rémunération équitable pour les produits apicoles. Récemment, ils ont lancé la campagne européenne #HoneYstLabellingNow! Afin de sensibiliser à ce problème.
Toutes les parties prenantes conviennent de l’importance des méthodes de détection de la fraude. Un effort doit être fait pour travailler ensemble et standardiser les nouvelles méthodologies. Le CCR a appelé à une coopération accrue entre les parties prenantes.
Concernant l’étiquetage, la position des apiculteurs est tout aussi claire : une transparence totale avec une liste des pays d’origine écrite de manière lisible et clairement identifiable, par ordre pondéral décroissant, avec les pourcentages respectifs indiqués, ainsi qu’une traçabilité complète, du fût (donc de l’apiculteur) au pot vendu dans les rayons de supermarchés. Les consommateurs, représentés par Ingrid Kragl de Foodwatch, soutiennent pleinement les opinions et les revendications des apiculteurs européens (voir vidéo).
Cette proposition a été soutenue par les députés présents, Juozas Olekas (S&D), Irène Tolleret (Renew), et Franc Bogovic (PPE), qui ont clairement exprimé leurs points de vue sur le sujet, mais la proposition a cependant été rejetée par la Commission et l’un des principaux conditionneurs sur le marché européen du miel.
La modification de la directive sur le miel sera négociée entre les États membres, la Commission européenne et le Parlement pendant la présidence espagnole (de juillet à décembre 2023). Nous espérons que les autorités ne laisseront pas mourir ce petit secteur qui est un pilier fondamental de la sécurité alimentaire en Europe et un témoin de la qualité de notre environnement.
Cet événement a été posible grâce au Groupe du parlement européen sur le changement climatique, la biodiversité et le développement durable ainsi que le soutien du projet européen B-THENET.
Contact: Noa SIMON DELSO, BeeLife European Beekeeping Coordination, comms@bee-life.eu
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